Twin Peaks de David Lynch et Mark Frost # 2
Dans ce deuxième article consacré à la série culte de David Lynch et Mark Frost, des détails et des éléments intéressant directement l'histoire sont révélés. J'invite donc les personnes qui n'ont pas vu la série et qui souhaitent le faire à ne pas lire l'article dans son entier au risque de se voir dévoiler certains éléments clés de l'histoire.
Enfin, si certains éléments sont ici révélés, les thèmes et les sujets liés à la série pourraient être étoffés et multipliés. Mais j'ai pris le parti ici de ne traiter que de quelques éléments qui me semblent importants pour comprendre au mieux la série.
- LES DÉCORS :
- La petite ville de Twin Peaks :
Avant d'être la série que nous connaissons, Twin Peaks est une petite bourgade imaginaire de 51 201 âmes. Située dans la région forestière du Nord-Ouest des Etats-Unis, à quelques kilomètres du Canada, elle se compose d'un hôpital où exerce un médecin atypique, le docteur Jakoby, un poste de police où travaillent le shériff Harry S. Truman, ses adjoints Hawk et Andy ainsi qu'une jeune réceptionniste, Lucy. A ces deux lieux s'ajoutent un lycée où étudiait Laura Palmer mais aussi Donna, James, Audrey, Bobby et Mike, un grand hôtel "The Great Northern" géré par l'ambitieux Ben Horne. Un café-restaurant "Le Double R", géré par Norma Jennings, véritable lieu convivial où se retrouvent tous les personnages autour d'une bonne tarte aux cerises et d'une tasse de café brûlant...
Twin Peaks est donc une bourgade sans histoire comme il en existe beaucoup aux Etats-Unis. Sa petite rivière et sa belle cascade en font un lieu accueillant, convivial et attrayant. Mais c'est sous cette lumière que se tapit souvent l'ombre et que naissent les plus puissantes terreurs.
- Les arbres, la forêt :
Twin Peaks ne serait pas Twin Peaks, sans son incroyable forêt. Lieu de tous les bruits, habités par d'étranges êtres, les ombres, les tentations. La forêt tient un rôle central dans l'oeuvre de Lynch et Frost. Elle est un lieu mythique, abondant et étrange. Loin de rester un simple décor, elle prend vie, se transforme, étend ses ombres, les multiplie et hante de ses animaux nocturnes les rêves des habitants.
Twin Peaks est donc ce lieu bâtit entre ombre et lumière, comme ses personnages, toujours sur le fil entre le bien et le mal, la folie et la raison.
C'est dans ce décor étonnant que survient le meurtre de Laura Palmer, jolie fille aimée de tous.
- LES PERSONNAGES :
Les personnages de la série sont nombreux et leurs liens complexes. On peut les classer en trois catégories distinctes :
- Les personnages colorés :
Certains personnages de la série sont caractéristiques du soap. Même s'ils ont chacun accès à la folie, ils n'en gardent pas moins leurs caractéristiques primitives qui fait d'eux le personnage attendu dans la série. Tel est le cas notamment de Ben Horne, ambitieux et manipulateur, du Shérif Harry S. Truman, loyal et droit, du docteur Hayward, calme et compréhensif, de Norma Jenning, douce et attentionnée etc.
Certains couples entrent, eux aussi, dans un moule très précis : Catherine et Pete, elle, tortionnaire, lui, obéissant et soumis, incarnent un duo sado-masochiste qui se fixe tout au long de la série.
Autant de personnages qui pourraient être secondaires et qui servent en réalité de base essentielle à l'intrigue de la série. Rehaussant l'intérêt du scénario par leur possible plongée dans la peur, ils donnent un poids retentissant au meurtre de Laura Palmer, élément perturbateur de la tranquillité de Twin Peaks.
- Les personnages typés et écorchés :
A côté des personnages colorés, se tiennent des êtres passionnés, amputés ou typés. Qu'ils soient dérangés ou vêtus d'accessoires fétichistes, ils marquent la série par leur étrangeté et leur existence en total décalage avec les personnages classiques du soap. Néanmoins, si leur folie existe par bien des moyens, elle ne semble pas déranger les autres personnages et être totalement acceptée par l'ensemble de la communauté. Là se tient toute l'audace de Twin Peaks, introduire un élément atypique pour en faire une nouvelle logique, sans pour autant plonger le spectateur dans le non-sens.
Ainsi, Harold Smith, agoraphobe cultivant de magnifiques orchidées, Nadine Hurley, jeune femme borgne obsédée par le silence, Gordon Cole, le patron demi-sourd de Dale Cooper (joué par David Lynch lui-même), Dale Cooper, agent très spécial du FBI qui adore les tartes et ne boit que du café, ne se sépare jamais de son dictaphone et possède une logique de déduction impressionnante et bien sûr la dame à la bûche qui se promène dans Twin Peaks avec sa vision de la réalité sur le monde. Beaucoup d'autres pourraient ici être cités, autant d'âmes qui côtoient sans cesse la folie, l'imaginaire et cultivent l'onirisme cher à Lynch.
- Les personnages mythiques :
Certains personnages de la série acquièrent immédiatement une qualité mythique. C'est bien sur le cas de Bob, étrange être qui incarne à la perfection l'essence du Mal, le nain de la chambre rouge, le Géant qui apparaît à Dale Cooper dans des visions lumineuses, le portier gâteux de l'hôtel, le petit garçon magicien et la vieille dame qui l'accompagne ou encore le Major Briggs qui se réclame d'une obscure mission de contact avec des extra-terrestres. Une gradation intéressante des personnages qui cohabitent, se dévoilent et se rencontrent à des moments précis de la série.
On pourrait ici ajouter Dale Cooper qui, cantonné à un rôle de personnage original dans la première partie de la série, devient peu à peu l'essence du Bien et l'ange des disparus.
C'est ici le propre de Twin Peaks, trouver du sens à une autre forme de logique et intégrer les fous et les excentriques au paysage global, sans inquiétudes. Twin Peaks est donc un monde non psychologique, où tout changement d'état est toléré et non interprété psychologiquement.
LES INTRIGUES :
La série imaginée par David Lynch et Mark Frost est atypique à bien des égards... elle se révèle rapidement complexe à l'image des liens qui unissent les protagonistes du film, car à côté du meurtre de Laura Palmer et de son enquête par l'Agent Cooper, de nombreuses intrigues parallèles alimentent la série :
- Ed Hurley, garagiste, partagé entre sa femme borgne et folle, Nadine et son amour de jeunesse, Norma Jennings qui craint le retour de son mari, Hank, emprisonné pour meurtre.
- Benjamin Horne et Katherine Partell, amants secrets, qui cherchent à récupérer la scierie de son frère au prix de douces vilenies infligées à la femme du défunt, Josie Packard, une belle chinoise au passé louche et maîtresse du Shérif Harry S. Truman.
- L'amour coupable entre l'ancien petit ami de Laura Palmer, Bobby, et sa meilleure amie, Donna, qui se retrouvent après le décès de Laura.
- Audrey Horne qui, souhaitant aider l'agent Dale Cooper dans son enquête, se met en danger et découvre les manœuvres et le vrai visage de son père, Ben Horne. etc.
Autant d'intrigues parallèles, qui si elles semblent complexifier l'histoire principale, lui donnent finalement, toute sa saveur et justifient d'un nouvel intérêt pour tous les personnages !
Twin Peaks ouvre donc ses portes sur des cavernes et des mondes parallèles, faits de lumière et d'ombre, mais également sur le passé. Ainsi, Ben Horne revivant la guerre de Sécession ou le Major Briggs renvoyé sur terre en tenue d'aviateur des années 50, sont autant d'indicateurs de voyage, faisant de Twin Peaks, une série aux multiples dimensions.
LES OBJETS :
Lynch est très attaché à certains objets/thèmes qui reviennent de façon récurrente dans Twin Peaks mais également dans ses autres films.
- La nourriture : Si les tartes du Double R acquièrent une place importante dans la série, le café a quant à lui une place primordiale. Considéré comme un plaisir du quotidien par Dale Cooper, il intervient dans tous les mondes, y comprit dans la Black Lodge où le café est tour à tour solidifié puis liquéfié... A l'image du sang qui coule dans nos veines, ou du pétrole qui fait avancer les machines, le café apparaît comme la substance vitale de Twin Peaks.
- Les bibelots : Les bibelots tiennent pour Lynch une place importante dans ses créations. Tantôt considérés comme des fossiles du passé, ils figent le décor dans un environnement précis. Incarnant la fragilité et la constance, ils servent d'éléments fixateur et raccrochent les personnages à l'illusion d'une existence matérielle.
LES THÈMES :
- L'humour : A la différence de ses autres films, David Lynch fait de la série un réceptacle humoristique. Faite de situations cocasses et d'agissements étranges, la série se joue des conventions et donne à ses personnages une dimension drôle et attachante.
- Les forces de la nature : Si Twin Peaks apparaît rapidement comme un nid, chaud et réconfortant, elle ne peut masquer une énergie démoniaque, faite de forces indomptées et de zones d'ombres tapies dans le coeur de chaque personnage comme dans les décors qui les environnent. Ainsi, le vide et la nuit, deviennent-ils des personnages à part entière, magiquement exploités par leurs créateurs. Un mouvement sans fin (rivière, cascade, vent dans les arbres) illustre quant à lui l'affluence de forces naturelles irréelles.
Twin Peaks recrée la vie et la véritable nuit, celle qui dure et ne dissipe pas les ombres, une obscurité profonde dans laquelle le monde change et se mue en un étrange imaginaire. Twin Peaks, lieu imaginaire créé par Lynch finit donc par le dépasser pour devenir un monde collectif, un monde mythique fait de souffrances et de tendresses ou chacun peut se retrouver.
- Le culte du double : Le simple nom de Twin Peaks est en lui-même une allusion au double. Ce qui se divise et se complète, à l'image de Laura Palmer considérée comme une adolescente normale et très aimée qui se révèle être une âme tourmentée et trahie, sa cousine, incarnée par la même actrice renforce elle aussi l'idée du double et de l'éternel recommencement.
Une image aussi très utilisée dans la Black Lodge où se tapit notre double maléfique. Autant d'éléments qui renforcent cette problématique déjà très abordée par Lynch dans "Mulholland Drive" ou " Lost Highway"... un double de nous même, maléfique, comme notre part d'ombre, réside quelque part, évolue à son rythme et selon ses propres lois. A l'image du Géant, merveilleux double du nain qui règne sur la Black Lodge, le double est partout et l'unique ne peut exister sans lui. Admettre l'existence du double, c'est admettre l'existence du mal, la part d'ombre que nous possédons en chacun de nous.
Ainsi, on comprends que ce soit par l'image d'un miroir que commence et se termine Twin peaks, une image doublée et incertaine.
LA MUSIQUE :
La musique est un élément primordial des films de David Lynch. Twin Peaks ne fait pas exception à la règle. A projet d'ampleur, il fallait un compositeur brillant, un rôle d’unificateur sur mesure pour Angelo Badalamenti qui signe une BO imagée et douce, grave et poignante. Une musique agrémentée par la douce voix de Julee Cruise qui, se mettant en scène dans son propre rôle, devient l'ange à la voix d'or de cette inoubliable série.
Et en cadeau, voici l'un des rêves de Dale Cooper les plus troublants :
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